Entrevue avec Michael Lapsley

Soigner la mémoire et guérir du passé

Pendant les années d’emprisonnement de Nelson Mandela, d’innombrables militants ont poursuivi la lutte anti-apartheid, certains s’étant exilés dans les pays voisins. L’un d’eux, le prêtre anglican Michael Lapsley, est de passage cette semaine à Montréal pour parler de réconciliation et de guérison, un sujet d’actualité au Canada depuis la conclusion de la commission sur les pensionnats autochtones. Rencontre.

Victime d’un attentat au colis piégé qui lui a arraché les mains et un œil en 1990 au Zimbabwe, Michael Lapsley perçoit sa propre trajectoire comme parallèle à celle de son pays d’adoption. L’homme d’origine néo-zélandaise a élu domicile en Afrique du Sud pendant les années 70, marquées par l’apartheid.

« Nous avons dû détruire le monstre qu’était l’apartheid. Ensuite, il a fallu guérir, se réconcilier, se retrouver les uns les autres », évoque le prêtre anglican, qui parle du pardon comme d’un processus « complexe et émotif ».

« Quand j’ai été blessé, j’ai perdu beaucoup. J’ai perdu mes mains. Mais Dieu était avec moi. Il me reste aussi énormément de choses, puisque j’ai encore ma vie », souligne ce militant pour la justice sociale, qui profite de sa visite montréalaise pour lancer la version française de son ouvrage Guérir du passé. Du combat pour la liberté au travail pour la paix.

« Je suis vainqueur, par le simple fait de savoir que les gens qui ont envoyé ce colis se sont fait plus de mal à eux-mêmes qu’à moi. »

— Michael Lapsley

Michael Lapsley rencontre La Presse dans la cafétéria d’un bâtiment adjacent à la cathédrale Christ Church. Chaleureux et rieur, avec sa barbe de père Noël, il donne des nouvelles de son ami Desmond Tutu (qui signe la préface de son livre), hospitalisé au cours des dernières semaines. Il revient avec éloquence sur l’attentat perpétré par les escadrons de la mort du régime sud-africain qu’il a subi il y a 25 ans, trois mois après la libération de Mandela, à un moment où l’on croyait le danger écarté. « Finalement, cette période s’est avérée la plus sanglante de notre histoire. »

Les crochets qui remplacent ses mains perdues sont indissociables de son être, totalement dévoué à la guérison des opprimés. Chez lui, au Cap, il a fondé en 1998 l’Institut pour la guérison des mémoires, qui accompagne des réfugiés, des jeunes marqués par le legs de la ségrégation raciale, des personnes atteintes du VIH-sida, des détenus dans leur démarche de réparation.

« Le fait est qu’une grande proportion de ceux qui font aux autres des choses terribles ont eux-mêmes subi de grandes douleurs », évoque le fondateur du « projet de restauration de l’humanité », qui mène des ateliers de guérison au cours desquels les gens sont invités à raconter leur histoire personnelle (et celle de leurs parents) et à trouver des déclencheurs émotifs. Cette démarche peut être vécue dans une optique religieuse ou séculière, tout dépendant des croyances de la personne. « Nous cherchons à engager des conversations, à déterminer les obstacles qu’ils traversent. L’objectif n’est pas d’encourager la complainte, mais de trouver des solutions, des actions », dit Michael Lapsley, dont l’approche de guérison de la mémoire a été utilisée aux États-Unis, au Timor oriental, au Rwanda et en Irlande du Nord.

APRÈS LA VÉRITÉ ET LA RÉCONCILIATION

Le prêtre, qui passe chaque année plusieurs mois aux États-Unis, se montre par ailleurs très sensible à la cause des peuples autochtones d’Amérique du Nord. À l’issue de la Commission vérité et réconciliation, il invite le Canada à faire preuve de vigilance. Amorcer un processus de guérison pour les victimes des sévices des pensionnats autochtones, voilà qui est bien, dit-il. Mais si le Canada a vu juste en s’inspirant de cette démarche née en Afrique du Sud, Michael Lapsley offre une mise en garde quant au risque d’envisager la Commission comme une fin en soi.

« Les 94 recommandations issues de la Commission doivent mener à l’ouverture d’une conversation nationale chez les Canadiens et mener à une implantation de mesures dans tous les secteurs de la société. Autrement, les gens deviendront très cyniques », évalue-t-il, se référant à l’issue caduque de la Commission vérité et réconciliation présidée par Desmond Tutu.

« L’erreur, en Afrique du Sud, a été de croire que la Commission était une fin. Alors qu’en réalité, c’était juste le commencement. »

Michael Lapsley nourrit, cela dit, une affection particulière pour le Canada, qu’il a visité quelques mois avant l’attentat. Pendant son hospitalisation, en Australie, des écoliers qu’il a rencontrés à North Bay lui ont fait parvenir des dessins pour soutenir son rétablissement. « Je les ai affichés aux murs de ma chambre d’hôpital et je les regardais, quand j’étais pris de désespoir. Une année plus tard, j’ai refait le même voyage au Canada pour remercier ces enfants. »

Ce soir à 19 h 30, Michael Lapsley rencontre le public à la Librairie Paulines, pour le lancement en Amérique du Nord de sa biographie Guérir du passé. Du combat pour la liberté au travail pour la paix.ail pour la paix.

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